Poetic-Verses from ATHANASE

FAVEUR DIVINE (French)


    (Θέα μοίρα)

A Homère Békès

« Ού γάρ πώ  τοι μοίρα θανείν »
(« Car la destinée n'est pas encore de mourir »)

          Homère, Iliade, VII, 52

Tu viens du côté de la mer, Ombre vibrante du passé,
Tu t'approches de mes lèvres où, insouciante,
La grande nuit de l'été azuréen
Tisse le voile de sa double splendeur !

Toi, Figure divine, adossée à ma mémoire
Telle Tirésias chez les morts,
Telle la réalité vraie parmi les ombres !

Tu me noies de baisers
Doux comme l'esprit des jacinthes,
Et, tremblant d'émotion,
Tu rallumes la flamme des pupilles
Et rends avec une délicatesse soyeuse
La vie à la vie !

Tu te penches sur moi
Souriant au temps comme avant le temps,
Et me promets des chants bien plus merveilleux
Que les ardentes élégies
Des suaves lyricins grecs !

Dis-moi, Ombre, toi qui habites à présent
Les sphères fixes des cieux, pays des étoiles immobiles,
Toi qui t'avances vers moi à travers l'eau des songes,
Et précipites mes rêves sur les voies
De la sublime Poésie,
Ai-je encore la faveur des Piérides ?

Ô âme, toi qui connais toutes choses
Avant de naître,
Ouvre mes mains aux frissons
De cette tendresse ultime,
Fais fleurir de nouveau dans le sang pur
Les fleurs d'un printemps inconnu !
 
Âme égale en immortalité aux dieux,
Rassure-moi, âme,
Dis-moi avec des mots que seule tu sais prononcer
Que ma destinée,
Comme celle de Békès,
N'est pas encore de mourir !

Accorde-moi, âme,
Cette double, cette infinie
Faveur divine !


Boulouris – Saint-Raphaël, ce jeudi 4 août, Anno Domini MMVI

Glose :

Homère Békès (1886-1971) :  un des plus grands poètes grecs du XXe siècle, oncle d'un génie contemporain de la poésie française Théo Crassas et de son frère Anastase. Il est l'auteur de plusieurs recueils dont :

- Orientales
- Don Quichotte.
- Les triomphes du verbe.
- Les Heures.
- Chants de victoire
- Le panégyrique de l'amour.
- Le chant d'Alexandre le Grand

De 1918 à 1922, Békès dirigea à Constantinople la revue littéraire « Logos » dont les deux frères gardent précieusement tous les numéros, rare et unique témoignage de la vie littéraire foisonnante de la communauté grecque vivant en Turquie. En 1904, le jeune Békès, brillant élève au Collège français de Constantinople, eut le privilège de recevoir son diplôme de bachelier des mains de Pierre Loti.

Homère Békès fut lié d'amitié avec le grand poète lyrique Anghelos Sikélianos (1884-1951) et le linguiste Jean Psychari (1854-1929), promoteur du grec démotique. Réfugié en France, Psychari enseigna à la Sorbonne où seraient conservées ses archives. Peut-être comprennent-elles une grande partie des œuvres de Békès.

Le poète compta parmi ses amis le fameux pianiste et chef d'orchestre Dimitri Mitropoulos qui dirigea au Théâtre National d'Athènes, en 1935, une monumentale représentation de Peer Gynt d'Edvard Grieg. Le texte d'Ibsen fut traduit directement du norvégien en grec par Békès. Cette traduction fait toujours autorité. Le rôle du Roy de Dover fut incarné par Emilios Véakis, une des légendes du théâtre hellène. Les frères Crassas conservent précieusement le masque mortuaire de l'acteur.

À Constantinople, Békès fut l'ami de cœur de Lysandre Prassinos, homme de lettres, critique d'art et peintre. Réfugié en France en 1922, Prassinos eut deux enfants qui connurent la célébrité : la poète surréaliste Gisèle Prassinos découverte par André Breton à 14 ans et son frère, le peintre Mario Prassinos (1916-1985).

Hélas, Békès, le grand génie de la poésie grecque que le poète Kostis Palamas (1859-1943) appelait « le Coryphée du chœur de Bosphore », est complètement oublié. Il fut pourtant, avec le poète Apostole Melachroinos et le philologue Jean Gryparis, le plus éminent représentant de l'école de poésie grecque de Constantinople. Il me plaît de citer ici les incomparables vers de Théo Crassas dédiés à son oncle :

« Ô Békès, toi qui chantas
Alexandre le Grand
comme Firdoussi et comme Nizami,
ô toi, que de ton vivant
rongeaient les âmes viles,
aujourd'hui tu reposes
parmi les fleurs vénéneuses
de l'ingratitude et de l'oubli! »

Il n'existe pas de traductions françaises des ouvrages de Békès. Les frères Crassas possèdent tous ses écrits à l'exception de deux recueils de poésies probablement perdus à jamais. A moins qu'ils ne se trouvent dans les archives de Jean Psychari.

Békès traduisit en grec Les Chimères de Gérard de Nerval, une Anthologie de haï-kaï,  écrits par des geishas au XIIe et XIIIe siècle et une Anthologie des poètes classique chinois.

Tirésias : Tirésias était un devin thébain. Sa mère était la nymphe Chariclo, compagne favorite d'Athéna. Les deux amies aimaient volontiers se baigner nues dans une source du mont Hélicon. Un jour, le jeune Tirésias chassant non loin de cette source et voulant sans doute rejoindre sa mère, s'approcha et surprit Athéna dans le plus simple appareil. La déesse mit sa main sur les yeux du jeune homme et Tirésias perdit la vue. Chariclo reprocha à la déesse sa cruauté envers son fils ; alors Athéna lui expliqua que tout mortel qui voyait un dieu contre sa volonté devait perdre la vue. Pour être agréable à Chariclo et pour consoler Tirésias, Athéna purifia les oreilles du jeune homme, ce qui lui permit de comprendre le langage des oiseaux et, ainsi, de deviner l'avenir. Elle lui donna un bâton de cornouiller grâce auquel, il pouvait se diriger aussi bien que s'il avait des yeux. Enfin, elle lui accorda le privilège de vivre durant sept générations et de garder son don de voyance même après sa mort.

Les Piérides : Filles d'Evippé et du roi macédonien Piéros, lui-même fils du Thessalien Magnès. Le roi donna son nom au mont Piéros situé au Nord de l'Olympe. Selon les Métamorphoses d'Ovide, ce souverain de Pella, capitale de la Macédoine,  apprit l'existence des Muses par un oracle en Thrace et introduisit leur culte dans son pays. Il épousa Evippé qui lui donna neuf filles, les Piérides. Excellentes chanteuses, celles-ci défièrent les Muses dans un concours musical. Vaincues, elles furent changées en divers oiseaux. Ce nom est parfois utilisé pour désigner les Muses elles-mêmes.


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