Poetic-Verses from ATHANASE

L'ETANG DE FLEURIGNY (French)


A Frédérique et Eric Baschet

« … signum est enim res praeter speciem,
quam ingerit sensibus, aliud aliquid ex se faciens
in cogitationem venire »

(« … le signe, c'est toute chose capable
de nous faire venir à l'esprit quelque chose d'autre
au-delà de l'impression que la chose par elle-même produit sur nos sens »)

          Saint Augustin,
          De doctrina christiana


NUIT

Première séquence

«  A toi cette pierre.
Pour soutenir ton cœur durant la nuit de la solitude,
Et effacer l'alphabet de l'oubli,
Sur l'échiquier  de ta mémoire. »

          Qassim Haddad
I.

Un très léger vent vient de l'océan.
Assis sur une grosse pierre
Toute habillée d'une robe verte de mousse tendre,
J'attends le jour !

II.

La nuit fut si belle que le cœur
En tremble encore ! Les étoiles,
En chorales fascinantes, ont dansé
Avec la grande solitude de la maison
Et les lits ondoyants des nids soyeux.

III.

Il y avait cette miroitante symphonie
Des rosiers qui tendaient leurs calices
Pleins de la clarté veloutée de la lune
En offrande aux dieux oubliés
De cette terre antique comme le temps !

IV.

Et ce fut le mariage du sang avec
Les lis splendides du royaume de France,
Les fiançailles de l'air avec le corps
Munificent de mon pays !
Beauté, tu es resté sans dormir,
Couchée sur ma poitrine essoufflée !
Et il y avait là, dans la translucide pénombre
De la vigne vierge, la suave rumeur des coccinelles !
Et ce chemin qui se perd dans les hortensias
Bleus et cerise.

V.

Ce silence dans la maison déserte,
Les chambres remplies de la présence
De tant d'été révolus !
Des voix y sont cachées dans chaque recoin,
Des pas anciens dorment d'un sommeil séculaire
Dans l'escalier en bois sur les beaux oreillers
Des ombres.

VI.

Et il me reste la recta ratio agibilium
Des poètes inspirés, oui,
La juste connaissance des choses à accomplir,
L'art de réinventer la beauté, l'habileté
De réélaborer le monde !
Attendre dans ma mémoire aimante
Un mot ancien, un sourire oublié !

 
AUBE

Deuxième séquence

« Natura enim, quamvis vivida, nisi erudiatur, ad artis
facilitatem non pervenit : artium tamen omnium parens est,
eisque, quo proficiant et perficiantur, dat nutricolam rationem. »

(En effet la nature, bien qu'agile, n'atteint pas à l'aisance de l'art,
à moins qu'on ne la dirige : elle est toutefois mère de tous les arts
et elle leur donne la raison comme nourrice
afin qu'ils progressent et se perfectionnent.)

          Jean de Salisbury,
          Metalogicus I, 11

I.

Le ciel est clair comme les yeux
Des très vieilles paysannes normandes !
L'aube a levé de son visage ruisselant
Son voile scintillant rehaussé de roses  
Et de milliers de petits diamants ciselés par la nuit.

II.

Et voici que l'émeraude étang de Fleurigny
Lieu de virginité enjôleuse,
Havre paisible de la claire mélancolie,
Se réveille sous le satin des caresses
Des mains attendries de la brise.

III.

Par centaines, de frêles hirondelles,
Les ailes lourdes de songes lumineux
Se précipitent sur la mince surface de l'eau,
Plongent leurs corps fusiformes dans
Le rayonnant sourire de l'étang,
Puis s'élancent comme des flèches
Tirés par un dieu invisible,
Sifflent dans l'air aussi bleu que la mer.

IV.

Nos lèvres embrassent le ciel d'été
Avec l'insaisissable légèreté des papillons,
S'empourprent et tremblent
Dans la blanche lumière du jour.

V.

Là, parmi les harpes des joncs
Eclate le concert solennel des légions d'oiseaux d'eau :
Canards colverts, grèbes, poules d'eau,
Foulques macroules, canards siffleurs, souchets, chipeaux,
Tadornes, sarcelles, râles, fuligules…

Les oiseaux des alentours leur font écho de leurs voix frêles:
Mésanges, loriots, pinsons, chardonnerets, vanneaux,
Gélinottes, torcols, grives, fauvettes, rousserolles.

Et au-dessus de leur mélodie se détachent,
Le chant des grenouilles et les trilles des merles !


VI.

Que d'instruments de musique chassent de la forêt
L'oubli muré dans les replis de la vie :
Ainsi la joie parle ce matin à la joie :
Piccolos, flûtes, clarinettes, hautbois,
Cors anglais, musettes, cornets, trombones, bugles,
Serpents, mandolines, guitares, vielles,
Violons, basses, violoncelles, saxophones…

Ô aube, tu nous noies de baisers, tu veux
Verser ton feu dans nos prunelles extasiées !

Nous, humbles pèlerins transis d'enchantement
Devant cet abîme mystérieux de voix et de sons
Impénétrable même au savoir des âmes illuminées !

VII.

Le temps s'arrête et rit sur les feuilles
Des bouleaux, des trembles,
Des aulnes, des platanes
Des saules et des charmes.
Puis la neige du silence tombe
Comme une poussière d'argent sur les prés !
Et nous savons enfin qu'il y a un chemin vers l'amour,
La tendresse inépuisable est ce chemin infini !

VIII.

Ah ! Comme il est doux au cœur, ce monde immaculé,
Cette joie qui soigne la joie,
Ces pages matinales que la justice,
La clémence et la vérité divine
Ont recouvertes de leur céleste écriture.

Ah ! Toute cette munificence des coeurs
Qui contiennent
L'infinie bonté
De l'univers illimité !

Fleurigny, ce samedi 8 juillet, Anno Domini MMVI

Glose :

Qassim Haddad (Bahrein 1948 -) : un des plus grands poètes arabes contemporains. Son premier recueil de poésies voit le jour en 1970. Il en a publié 16 à ce jour.

Jean de Salisbury (1130-1180) : Haut fonctionnaire ecclésiastique à la curie pontificale, puis secrétaire de Théobald, archevêque de Cantorbéry, Jean de Salisbury devint l'ami de Thomas Becket. Après l'assassinat de ce dernier, il se réfugia à Reims et termina sa carrière comme évêque de Chartres de 1176 à sa mort. C'est par la publication en 1159 de son chef-d'oeuvre Policraticus, premier grand traité de science politique du Moyen Âge, que ce clerc s'illustra. Il fut l'un des hommes les plus cultivés de son temps. On lui doit la célèbre formule « Un roi illettré n'est qu'un âne couronné ».


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