Poetic-Verses from ATHANASE

LES BILLES DE VERRE (French)



A Lubomir Detchev

« Pour ce voyage
Je n'ai même pas pris de nusa !
Qu'au mont des Offrandes
Le dieu agrée à son bon plaisir
Un brocart de feuilles rouges »

          Sugawara no Michizane
I.

Il avait, mon ami aimé, des billes en verre multicolores,
Des billes si belles qu'elles nous faisaient rêver
Les nuits.
Ma mère me disait : « Elles sont splendides, mon fils,
Mais tu as, toi, les immortelles billes des étoiles,
Regarde comme elles scintillent
Et roulent doucement dans le ciel ! »

II.

Mais à moi, ô mon ami, tu me permettais
De les tenir dans les mains,
Et pour me montrer à quel point
Tu m'aimais,
Pour me prouver l'entièreté de ta confiance,
Tu m'accordais le suprême privilège
De les emporter chez moi
Pour toute une après-midi !

III.

Ô mon ami, le temps  dépositaire
De la vérité et de la justice,
A effacé, d'une main dispendieuse
Et à la manière de la peinture d'ombre,
Ces  prodigieuses années
D'angélique insouciance.

Il a creusé sur nos visages roses
Il a buriné
Calmement, imperceptiblement,
Opiniâtrement, pareil dans sa
Patience olympienne
Au travail cruellement délicat
Des gouttes d'eau tombant sur le marbre,
Des abrupts sillons ravineux
Où, dit-on, la sagesse fait pousser
Les fleurs de la haute vérité !

IV.

Puis, un matin, à Paris,
J'apprends ta mort !....
Ô jours de tristesse violente,
Heures de démence,
Nuits de pleine lune lourdes d'insomnie,
De crainte, d'angoisse !

Ainsi sur les sentiers de mes rêves
Se déposait l'amère rosée des larmes,
Ainsi, accompagné de mon ombre,
Je contemplais la théorie des souvenirs !

V.

Des longues années sont passées
Depuis !

Et soudain, cette nuit,
Loin de notre Thrace de géranium et de lilas,
J'ai rêvé de toi !

Toi, adolescent somptueux,
Dans la cour du vieil hôpital
De notre ville verdoyante,
Tendrement appuyé contre l'épaule de ta mère,
Pâle, affaibli, transparent !

VI.

Je viens d'un pas mesuré vers toi,
M'arrête un instant
Et sors de ma poche
Une multitude de billes
De toutes les couleurs.

Tu te lèves, tu cours vers moi,
Me prends dans tes bras fiévreux,
Tu me presses contre ta poitrine essoufflée
Et me dis :
 
« Garde les billes, tu me les rendras
Le jour où tu viendras me rendre visite
Dans ma nouvelle maison ! »

VII.

Je me réveille,
Mon corps tremble comme une feuille de bouleau,
Des larmes coulent abondantes sur mon oreiller !

VIII.

Ô mon ami, ami que j'ai tant aimé,
Que j'aime toujours autant,
Je te promets, je te jure,
Devant Dieu et le Ciel thrace,
Notre véritable patrie,
Je te rendrai tes billes
Le jour où je viendrai te voir.

Comment en serait-il autrement,
Mon ami, toi qui es à présent
Être réel, essence impérissable
Et vérité pure !

          Athanase Vantchev de Thracy

Fleurigny, ce samedi 9 septembre, Anno Domini MMVI

Lubomir Detchev était un ami d'enfance que j'aimais profondément. Nous jouions souvent ensemble. Quelqu'un lui avait offert des billes multicolores qui fascinaient tous les enfants du quartier Saint-Michel (du nom de l'église dédiée à l'Archange Mikhail à Haskovo). Malade, il resta quelque temps à l'hôpital où j'allais le voir tous les jours. Quelle ne fut ma tristesse quand, un matin, téléphonant à un ami, j'ai appris qu'il était mort d'un cancer. Paix à ton âme, ami ! Paix !

Glose :

Bille (n.f.) : mot d'origine celtique. L'origine du jeu de billes reste inconnue. Certains affirment qu'on aurait retrouvé des billes dans les tombes égyptiennes du début du 3e millénaire av. J.-C. Les Egyptiens seraient-ils les premiers joueurs de billes ? Quoi qu'il en soit, le jeu apparaît dès l'Antiquité. Les Grecs le connaissait sous le nom de troppa ; le but du jeu était de lancer un maximum de petits objets ronds dans un trou. Ils jouaient avec des osselets, des châtaignes, des olives, des glandes. Pareillement, les Romains jouait à l'orca, jeu où il fallait lancer des noix ou des noisettes dans un vase (orca). La plus vieille bille pourrait avoir 6000 ans ; elle se trouve au musée d'Oxford.

Entre le Moyen-âge et la Renaissance, la bille, qui était jusqu'alors un objet écologique, devient un objet artisanal. Certains maîtres verriers vénitiens auraient en effet produit des billes au XIVe siècle. En bois ou métal, de forme grossièrement sphérique, elles sont alors appelées gobilles. Toutefois, malgré cette évolution progressive de la bille, ce n'est qu'au XVe siècle que les jeux s'organisent et que les règles se mettent en place de façon orale. Le XVIIIe siècle, siècle des Lumières et des Encyclopédistes, voit se développer un intérêt croissant pour les jeux et les jouets, ainsi qu'une nouvelle conception de l'éducation avec Rousseau. On assiste également aux balbutiements de la Révolution industrielle. Consécutivement à ces mutations, les billes s'arrondissent parfaitement. Les matériaux de fabrication, quant à eux, se multiplient ; tout d'abord de terre, la bille peut également être de verre, de pierre, d'agate, de marbre.
Sugawara no Michizane (845-903) : illustre poète et homme d'Etat japonais qui s'efforça vainement de réduire la puissance des Fujiwara et de relever celle de l'empereur. Il a laissé de nombreux poèmes en japonais et en chinois.

Nusa (n.f.) : étoffe de mûrier (soie). La coutume voulait, avant de partir en voyage, que l'on offrît aux dieux protecteurs des routes, des offrandes de nusa, en divers points, notamment sur les montagnes. Tamukeyama (Mont des Offrandes) finit par devenir un nom de lieu, en particulier celui d'un lieu de Nara, qui est vraisemblablement celui dont il s'agit ici. Le poète n'a pas pris le temps de se munir de nusa, mais on est alors en automne, à l'époque des feuilles rouges.


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